La dérision, partie intégrante du folklore estudiantin ? (Michel Péters)

Le folklore est un fait social. Il y a, en effet, folklore, dès qu’un groupe social — quelle que soit sa taille — ne partage pas toute la culture dominante (qu’il veuille ou ne puisse le faire) et secrète ou continue une autre culture dont la fonction est de traduire l’identité du groupe.

En ce sens, le folklore estudiantin est remarquable : les étudiants constituent un groupe social qui, bien que participant à la culture dominante, a ressenti le besoin de se créer une culture propre, avec des croyances, des rituels, des narrations, de la musique, des costumes particuliers, etc. et dont la fonction est de lui assurer une identité, ainsi que de lui permettre tout un jeu de différenciations à l’échelle locale.

Dès le début de l’Université bientôt bicentenaire, les premiers pas folkloriques de l’universitaire liégeois paraissent à nos mentalités contemporaines plus imprégnés d’un certain vandalisme que d’une conduite bon enfant attendue, plus encore à cette époque qu’aujourd’hui, d’une certaine « élite de la société ».

Forcer le passage sur des ponts, arracher des sonnettes, casser à coups de gourdins les portes de maisons de débauche, c’était marquer son état, son appartenance à un groupe social et montrer son dédain pour les conventions. C’est en s’affirmant, en se différenciant des convenances que l’étudiant et son groupe naissent. Rien n’est différent aujourd’hui.

Tout groupe social vivant dans un univers clos, dans un milieu collectif contraint, cherche à rendre la vie communautaire plus supportable en s’en affranchissant occasionnellement et symboliquement. La guindaille est cette « soupape de sécurité » dans le monde estudiantin. Elle est une moquerie collective qui bloque momentanément le fonctionnement du système pédagogique et de l’ordre social. Elle réussit un instant à désacraliser l’ordre établi symbolisé par le professeur, le bourgeois ou l’autorité en les ramenant au niveau de l’humanité.

Paradoxalement, chahuter le maître — dans une revue théâtrale par exemple — moquer les bourgeois — en les réveillant ou dans les chansons — ou narguer la police — en les promenant à travers la ville —, dans le rituel ludique de la guindaille du 19e siècle ou du début du 20e, est une manière d’intégration et de réaffirmation de l’ordre social car cela est momentané et, une fois terminé, tout rentre dans l’ordre.  Les chansons estudiantines illustrent, plus que tout autre, cette « fronde » estudiantine. Va-t-on interdire Bitu et Fleurs du mâle ?

Le folklore étudiant tient dès lors plus de l’intégration que de la subversion puisque quand la fête est finie tout recommence « comme avant » ; on engrange pour plus tard des souvenirs épiques qui seront ressassés, racontés, améliorés, prêts à ressortir lors d’une soirée d’anciens ou d’un souper de famille.

Fait social, le folklore, tout en évoluant « parallèlement » à la société, se développe avec son temps. A défaut il disparaît.

L’ennemi de jadis – le terme ennemi est bien évidemment à prendre au second degré – n’est plus le policier, le souteneur, le bourgeois ou le professeur ; le support n’est plus la revue estudiantine commémorant l’anniversaire de l’association ou la décoration du char au sein du cortège, mais devient l’affiche ou le réseau social.

La démarche reste la même : remettre en cause « l’ordre établi », la bien-pensance générale. Le but reste le même : se forger une identité propre, se différencier.  Le résultat sera le même : la réaffirmation de l’ordre social.

Je ne veux pas justifier le choix du thème de la bleusaille des étudiants du CB Philo. Ils s’en sont expliqués et sont conscients qu’il ont pu blesser pas mal de gens.

Je veux simplement aider à comprendre en apportant un témoignage historique.  Je ne suis pas convaincu que le bourgeois voyant les étudiants envahir un métier forain au 19e siècle comprenait mieux que les personnes choquées aujourd’hui par les allusions qui font l’actualité.

Je ne suis cependant pas convaincu que la désapprobation de jadis était aussi absolue et virulente que celle qui accable aujourd’hui des jeunes gens et des jeunes filles qui, je l’affirme, n’ont jamais eu l’intention de blesser.  C’est paradoxal de constater que la dérision, parce qu’il s’agit bien de cela, trouve moins sa place aujourd’hui que jadis. Nos ancêtres qui ont lutté pour nos Libertés doivent s’en retourner dans leurs tombes !

Il faut maintenant replacer les choses dans leur contexte, réfléchir hors de la poussée médiatique qui épie chaque « faux pas folklorique ». Il faut que les groupes respectifs se rencontrent, s’écoutent et se comprennent. Une sortie par le haut s’impose pour tous ; elle se doit d’être mutuellement éducative.

Le rire, la moquerie, la dérision sont des entreprises de purification, de déblaiement, ils préparent des salubrités futures disait Romain Gary résumant fort bien, sans le savoir, l’esprit même du folklore estudiantin.

Michel Péters

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