Saint-Nicolas revient Place du XX août (M. Péters)

 Dès la première moitié du 19e siècle, le commissaire en chef de la Police de Liège s’adresse en ces termes à l’administrateur-inspecteur de l’Université de Liège : « Demain, veille de la Saint-Nicolas, il pourrait bien s’organiser, comme les années précédentes, des réunions de jeunes gens qui, dans l’intention de se livrer à des amusements de mauvais goût et nuisible au commerce, parcourent les rues en faisant un tapage nocturne punissable par la loi ». Cette lettre est datée du 4 décembre 1843… Ces faits se répètent en 1859 ce qui semble attester la naissance d’une tradition estudiantine consistant à fêter la Saint-Nicolas. Hélas, les archives restent muettes par la suite ce qui rend difficile de se prononcer sur la persistance de ces cérémonies.

 Il faut attendre 1904 pour retrouver la mention de l’organisation d’une fête d’étudiants à l’occasion de la Saint-Nicolas. L’Universitaire Catholique rend compte dans sa chronique liégeoise de l’événement : « C’est avec un plaisir immense que nous allons fêter magnifiquement le patron des écoliers. Il y aura d’abord une guindaille monstre (on parle de 200 litres) : on procédera ensuite au tirage d’une tombola, et le bruit m’est parvenu que le grand Saint allait nous honorer de sa visite ». Point de cortège ou de sortie en ville : les étudiants catholiques se contentent de faire une guindaille intime au cours de laquelle alternent chansons et monologues estudiantins. Le plat de résistance est constitué par l’arrivée de Saint-Nicolas qui distribue quelques « vérités » ironiques aux membres présents. La guindaille terminée, les étudiants s’en vont alors vadrouiller dans différents cafés.

 L’organisation de cette nouvelle réjouissance fait des émules et, dès 1905, une seconde  association estudiantine, facultaire cette fois, organise des festivités « copieusement et gratuitement arrosées à l’occasion de la Saint-Nicolas ».  Les années suivantes verront de semblables fêtes animer la plupart des Cercles universitaires, qu’ils soient politiques, facultaires ou régionaux. En 1907, le Cercle des Etudiants du Hainaut emboîte en effet le pas. La tradition semble alors lancée.

 Les festivités se maintiennent sous cette forme jusqu’en 1909. Le 6 décembre de cette année, les étudiants catholiques de l’Union reçoivent leurs camarades de Louvain, Bruxelles et Gand en vue de fonder la Fédération Nationale Wallonne des Etudiants Catholiques. Cet événement, doublé de la récente fondation d’une fanfare estudiantine au sein du cercle catholique, doit être commémoré dignement : la première sortie de Saint-Nicolas a lieu deux jours plus tard.

 Cette évolution dans le déroulement de la fête doit cependant être nuancée :

 -          elle ne se remarque qu’au sein du cercle catholique, les autres groupements d’étudiants  continuant leurs activités intimes ;

 -          la Saint-Nicolas n’apparaît pas comme une sortie en soi, on profite de l’occasion pour inviter des délégués d’autres Universités

 -          la sortie est, en réalité, le cortège que l’on organise pour aller les accueillir à la gare ;

 -          une fois au local, le cérémonial coutumier reprend.

 La Première Guerre Mondiale arrête les réjouissances. L’Université ferme, la jeunesse universitaire paie son tribut à la Patrie dans la défense des forts de Liège et les tranchées de l’Yser.

 Dès 1919, la vie estudiantine joyeuse reprend, mais la Saint-Nicolas semble oubliée. Ce n’est qu’en 1921 que l’Union, toujours elle, reprend la tradition. Le 6 décembre, « après une éclatante sortie de la fanfare qui porta ses joyeux hommages à MM. Dallemagne et Goblet, on rentra à l’Union pour la séance dramatique ». La « fête intime » de l’avant-guerre fait place à la représentation d’une revue estudiantine.

 En 1922, la fête renait aussi au sein d’autres associations, comme l’Association des Etudiants en Médecine qui organise une fête intime de Saint-Nicolas le 6 décembre, mais aussi 1923.

 La tradition est alors relancée sous la forme qu’elle avait avant-guerre : fête intime au cours de laquelle Saint-Nicolas distribue quelques paroles ironiques aux participants, guindaille faite de chansons et monologues, bières en grande quantité et finalement vadrouille en ville.

 En décembre 1928, pour la première fois, l’Union appelle à un cortège organisé le matin et sollicite les étudiants pour accompagner le Grand Saint « munis de moyens de locomotion aussi bizarres et hétéroclites que possibles ».  Montés sur deux motos Gillet, Saint-Nicolas et Hanscrouf précèdent le cortège des étudiants. A hauteur de la Vierge Delcour, un policier fort zélé arrête les protagonistes et veut les verbaliser. Réprobation estudiantine vive… mais vite contenue. Le policier est un étudiant déguisé…

 Les divers cercles estudiantins ne restent pas longtemps à l’écart de cette évolution des festivités. En 1930, trois Saint-Nicolas précèdent le cortège qui se clôture à la fontaine de la Vierge Delcour.

 En 1939, la deuxième guerre mondiale s’annonce. Par respect pour les étudiants mobilisés, aucune activité folklorique n’est organisée, Saint-Nicolas mettra six ans avant de revenir à Liège. Le 7 décembre 1945, il fait son retour à l’Union. Une nouveauté voit le jour cette même année : « Le preste petit Saint-Nicolas conduisant une troupe, qui chantait des cantiques très estudiantins, se dirigea vers l’auditoire de 1ère Philo ». Pour la première fois, les cours à l’Université sont troublés et les étudiants, « recrutés » dans les auditoires, viennent grossir les rangs du cortège. Celui-ci passe par la statue du Torê, file vers le Lycée de Waha (pour jeunes filles) avant de se clôturer par le traditionnel Marie Clap’Sabot à la Vierge Delcour, récemment remise en place après 5 années passées, emmurée en compagnie du Torê, dans les caves de l’Académie.

 La tradition des auditoires vidés s’imposera rapidement, au point que beaucoup d’étudiants croyaient que le jour de la Saint-Nicolas était un jour de congé accordé par les autorités académiques… Ce n’était qu’une tolérance, encore présente au début des années ’80 et aujourd’hui, hélas, disparue.

 Le mercredi 5 décembre 1951, des incidents éclatent entre la police et les étudiants : la charge estudiantine sur le Lycée de Waha et l’arrachage de la flèche d’un tram occasionnent une réaction musclée de la police, des étudiants sont blessés. Les bagarres se poursuivront deux jours durant.  Les années qui suivront, pour faciliter l’accès au Lycée, des étudiants se laisseront enfermer la veille dans l’école afin, le matin venu, d’ouvrir les portes à leurs camarades…

 La fin des années cinquante connaît une innovation supplémentaire: la collecte pour l’ « œuvre de la soif ». Armé d’une chope, les étudiants quémandent quelques pièces auprès des bourgeois se trouvant dans les cafés de la ville, une fois en possession d’une somme suffisante, ils se répandent dans les locaux de l’Union, de la Mâson et les cafés.

 La tradition n’évoluera guère plus durant les années soixante : la Saint-Nicolas connaît un succès grandissant, elle réunit un cortège de plus en plus important où les tabliers blancs, exceptionnels jusque-là, se multiplient pour être majoritaires à la fin des années 70.

 Outre les visites traditionnelles au Torê, au Lycée de Waha et à la Vierge Delcour, la rédaction du quotidien La Meuse reçoit annuellement la visite du cortège. En 1965, venant du Lycée de Waha et après un bref passage au Torê, le cortège se dirige vers son lieu de dislocation.  Juché(s) sur la terrasse d’un immeuble du Boulevard de la Sauvenière, le ou les Saints (c’est à la mode en ce temps-là) haranguent la foule des étudiants amassés en bas.  Cet immeuble, c’était le siège du journal La Meuse jusqu’il y a quelques années. Cette tradition se maintiendra pendant les années noires du folklore estudiantin, jusqu’en 1976…, les événements de 1968-69 n’occasionnant pas la fin du cortège, seul le nombre des participants se réduisant à 200 ou 300.

 En 1979, record battu, pas moins de six Saint-Nicolas précèdent le cortège ; plusieurs centaines d’étudiants défilent, le mercredi, dans les rues du centre. Très tôt le matin, ils collectent déjà dans les rues du centre pour l’œuvre de la soif. Certains « courageux » avaient même commencé « l’opération » dès la veille au soir.

 L’Union des Etudiants Catholique, plongée dans une crise folklorique, perd son rôle d’organisateur au profit de la Fédération des Cercles Etudiants, une page est tournée, les étudiants catholiques avaient été non seulement à l’origine de la fête, mais avaient continuellement influencé son évolution.

 En 1981, d’immenses dégâts sont occasionnés au parterre de la Place Cathédrale, le centre de la ville est jonché de gobelets en plastique et de bouteilles vides.

 L’année suivante, le nombre d’étudiants participant au cortège se chiffre à 1500, le folklore, après un important passage à vide, semble renaître. Les toges estudiantines se comptent en plus grand nombre, les Comités de Baptême deviennent les gardiens de la tradition estudiantine.

 1984 voit une initiative du Cercle des Etudiants en Archéologie, ils obtiennent l’autorisation d’organiser une après-midi musicale place du XX août, le centre de la fête s’y déplace aussitôt, le Carré est quelque peu désengorgé.

 1989, la rupture ! Depuis le début, la Saint-Nicolas était organisée le premier mercredi du mois de décembre, mais, cette année, le mercredi 6 décembre, un match de football nécessite la présence des forces de l’ordre à Rocourt. En accord avec les autorités communales, l’Association Générale des Etudiants Liégeois (AGEL) organise la sortie le mardi 5 décembre. 10000 étudiants dans le cortège. Malgré de nombreuses précautions dues à une grève des brasseries, la fête tourne à la catastrophe : pillage du rayon alcools d’un grand magasin de l’avenue Blonden, des dizaines de comas éthyliques et un mort par noyade dans la Meuse.

 L’AGEL prendra ses responsabilités dès l’année suivante. Elle obtient des autorités communales l’exclusivité de l’organisation et décentre l’animation musicale vers l’esplanade Saint-Léonard. Premier chapiteau, première soirée la veille et succès sans précédent, peu d’incidents à signaler.

 En 1993, les festivités retrouvent le centre de la ville suite à de nouveaux accords avec les autorités académiques et communales. Le calme est plus que satisfaisant, au point d’en intriguer la presse : « Ils étaient encore plus de 10000 pour fêter Saint-Nicolas hier à Liège. Pas d’incidents graves à déplorer » titre La Meuse.

 Actuellement, la fête se déroule le premier lundi de décembre. Le but de ce jour date est d’éviter autant que possible la présence d’élèves du secondaire et de répondre à une demande pressante des autorités communales de ne pas coïncider avec un jour de ramassage d’immondices…

En 2011, suite aux travaux de l’Emulation et à l’indisponibilité de la place du XX août, le parcours du cortège est modifié pour rejoindre le chapiteau du Val-Benoit. Durant deux années, la fête s’y déroule.

 Cette année, Saint-Nicolas retrouve son site préféré, la place du XX août, siège de l’Université bientôt bicentenaire. En presque 200 ans, la fête a évolué certes, comme le folklore, mais elle est toujours bien présente.

 Michel Péters

Historien de formation

Président d’Honneur de l’Association Générale des Etudiants Liégeois.

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