Historique des sociétés d’étudiants SUISSES

HISTOIRE DES SOCIETES D’ETUDIANTS SUISSES

L’histoire des sociétés d’étudiants plonge ses racines dans les premières universités européennes. Lorsqu’au milieu du XVe siècle, François Villon et quelques joyeux clercs de la basoche s’amusent à déplacer la pierre du Pet au Diable, ou encore à « marier » les enseignes des cabarets Parisiens, ils rejoignent à travers les siècles certaines bandes estudiantines qui brouillent les lettres des frontons des cinémas lausannois ou déplacent les statues du Palais de Rumine pour en orner, et bloquer, l’entrée de la vénérable banque cantonale vaudoise.

C’est au Moyen Age que nous relevons les premières indications concernant les groupements d’étudiants. Dans les universités de Bologne et de Paris, les étudiants d’un même pays, d’une même province, se regroupent en « nations ». Ainsi l’alma mater lutécienne se divise-t-elle en l’honorable nation de France, la fidèle nation de Picardie, la vénérable nation de Normandie ou la constante nation de Germanie. Ces « nations », organisées sur le modèle des corporations moyenâgeuses accueillent le nouveau venu, l’entourent, l’encadrent, guident ses premiers pas dans l’univers inquiétant de cette mégalopole de 250’000 habitants qu’est alors Paris. Pour être admis dans une « nation », il faut passer certaines épreuves d’admission, ancêtres de nos charriages modernes.

Au XVIe siècle apparaissent les premières universités réformées d’Allemagne; des étudiants créent alors des sociétés, les Landmannschaften, calquées sur le modèle des nations parisiennes. De nos jours, ce principe se retrouve dans la plupart des universités américaines où les « fraternités » regroupaient au début les étudiants issus d’une même lointaine province.

Les Landmannsehaften germaniques adoptèrent aussi certains principes des corporations. Leurs membres se distinguaient par le port de couleurs qui étaient au début celles de leur ville d’origine. Les sociétés étaient régies par un règlement et elles suivaient les principes d’un « Comment » d’origine française. Ce dernier était un code de l’art de se bien comporter en société. L’étudiant porte aussi l’épée qui a remplacé la dague des clercs de la basoche. Cette arme amène tout naturellement au duel. Les diverses universités s’efforceront d’interdire le duel et l’Académie de Lausanne légiférera en la matière en 1547, (dix ans après sa fondation) en interdisant le port des armes.

En 1654, la diète de Ratisbonne interdira les Landmannschaften qui poursuivront leurs activités dans la clandestinité pour reparaître un siècle plus tard, après avoir adopté certaines idées nouvelles issues de la franc-maçonnerie. A la même époque, 1775 envi-ron, apparurent d’autres associations appelées « ordres ». Ces nouvelles venues ajoutèrent au port des couleurs la devise et le zirkel. Ces sociétés furent les premières à introduire la notion d’appartenance « Ã  vie ».

On assista bientôt à diverses fusions entre les Principes des Landmannschaften et des Ordres, fusions qui aboutirent à la forme moderne des socié-tés d’étudiants d’Allemagne. Alors que les « Ordres » disparaissaient, les Landmannschaften prirent le nom de « Corps », un terme lui aussi issu de la langue française.

LE MOUVEMENT ESTUDIANTIN EN SUISSE

En Suisse, les gouvernements de l’ancien régime étaient assez réfractaires à l’idée de société d’étudiants. A plus forte raison dans le can-ton de Vaud, LL.EE. de Berne ne voyaient-elles pas d’un oeil favorable toute forme d’asso-ciation, à l’exception de quelques sociétés de tir, les Abbayes, qui devaient former des hommes aptes à défendre le territoire bernois.

Il faut attendre 1806 pour que cinq jeunes étudiants de l’Academia Lausannensis se groupent pour fonder la société de Belles-Lettres. Il faut dire qu’à l’époque, on entrait à l’académie à seize ans pour suivre les cours dans les auditoires de Belles-Lettres ou de Philosophie. Ce sont donc des jeunes gens qui aujourd’hui seraient gymnasiens qui fondent la première société romande d’étudiants et lui donnent le nom de leur auditoire. Les Bellettriens se réunissaient deux fois par semaine, dans un auditoire de l’Académie mis à leur disposition, pour écouter des travaux littéraires et en faire la critique. Les discussions étaient empreintes de gravité sérieuse, les intervenants s’ap-pelaient « Monsieur » et s’interdisaient le tutoiement. Cette rigueur durera jusqu’en 1831, date à laquelle on abandonna le vouvoiement.

Si Belles-Lettres fut fondée par de jeunes étudiants qui avaient suivi de près les bouleversements conduisant à l’Acte de médiation, ce furent d’autres remous directement issus du Congrès de Vienne et du Pacte fédéral de 1815 qui amenèrent une soixantaine d’étudiants des Universités de Berne et Zurich à se rencontrer en juillet 1819 À l’Auberge du Boeuf à Zofingue pour y fonder une société libérale à but patriotique. Les Zofingiens se donnaient pour objectif de se consacrer au service de la patrie et de réunir tous les étudiants de Suisse sous une même bannière. En 1820 déjà, des étudiants de Lausanne et de Lucerne demandèrent à se joindre à la société de Zofingue et c’est à cette époque que fut fondée la section lausannnoise. Tout en se refusant à une action politique directe, les Zofingiens participèrent activement à tout le mouvement d’idées qui conduisît à la victoire libérale de 1830.

Alors que Belles-Lettres recrutait ses membres uniquement dans les auditoires mentionnés plus haut, Zofingue s’installa dans les facultés de droit et de théologie. Ainsi très souvent les Bellettriens qui passaient au niveau supérieur de l’académie devenaient-ils Zofingiens tout en étant honoraires de Belles-Lettres. La réforme des études de 1837 renforça cette tendance en reléguant Belles-Lettres au rang de société gymnasiale. Celle-ci fut pendant longtemps une étape précédant l’accès à Zofingue ou plus tard à Helvétia et ce n’est qu’en 1862 que Belles-Lettres abandonnera ce rôle de « marchepied » peur devenir société universitaire.

D’autres bouleversements politiques s’annonçaient toutefois dans le ciel helvétique, qui allaient provoquer scissions et Eclatements au sein de Zofingue. En 1831, à Bâle, les Zofingiens prennent parti pour les conservateurs dans la lutte entre la ville et la campagne qui allait aboutir à la création de deux demi-cantons; à la même époque les membres de la section neuchâteloise soutinrent les tendances royalistes dans ce canton. Les Zofingiens de Lucerne, anticonservateurs, ne l’entendirent pas de cette oreille et demandèrent l’exclusion des sections réactionnaires. Devant le refus de l’assemblée générale, les Lucernois et quelques Zurichois se retrouvèrent à Hitzkirch pour fonder une nouvelle société, politiquement proche du mou-vement radical, et qui prit bientôt le nom d’Helvétia. Les débuts de la nouvelle société furent difficiles, les sections de Zurich et d’Aarau disparu-rent en 1835 déjà, celle de Lucerne fut interdite en 1836, seule subsista la section de Berne. Bien que les Lausan-nois aient été favorables aux idées nouvelles, l’objectif premier de Zofingue de réunir tous les étudiants suisses sous un même drapeau les empêcha de se joindre aux rangs de la société dissidente.

Si l’aile gauche de Zofingue penchait vers les idées du radicalisme montant et fondait l’Helvetia, l’aile droite en revanche s’éloignait des libéraux zofingiens pour défendre des idées conservatrices et fonder la Société des Etudiants Suisses (SES). Les premiers jalons de cette nouvelle association furent posés en 1841 et elle va fêter cette année (1991) son cent cinquantenaire. Ce ne sera toutefois qu’en 1843 qu’elle sera établie dans sa forme définitive. Bien que la SES ait au début cherché à gommer les aspects confessionnels de son programme pour attirer les conservateurs protestants, la montée des tensions qui devaient aboutir au Sonderbund firent que cette société s’implanta d’abord dans les bastions du catholicisme qu’étaient Lucerne, Fribourg, Schwytz et Saint-Gall. Dans chaque université, la section de la SES porte un nom différent; on trouve ainsi Sarinia à Fribourg, Salévia à Genève. A Lausanne, la section du SES prit le nom de « Lemania » et recruta ses membres essentiellement dans le milieux des étudiants catholiques.

Ainsi, comme le relevait Charles Gilliard, les Zofingiens, prisonniers de leur volonté de non-engagement politique, étaient débordés sur leur gauche et sur leur droite par des mouvements plus dynamiques et politiquement plus typés.

Si la société Helvetia semblait en pleine déconfiture, la désagrégation des sections zofingiennes se poursuivait En 1847 des Zofingiens acquis aux idées radicales quittent la société et forment la « Neu Zofingia ». Une section vaudoise de la « Nouvelle Société de Zofingue » apparaît en 1848 à Lausanne, fondée par sept étu-diants dont quatre anciens Bellettriens.

Dès 1849, la plupart des sections de la Nouvelle Zofingue prirent le nom d’Helvetia, au grand dam des survivants bernois de la première vague que l’on avait à peine consultés.

En 1855 toutefois, les querelles de clocher se sont estompées et on assiste à une fusion éphémère de Zofingue et d’Helvetia. La section lausannoise d’Helvetia s’opposera à cette fusion et fera cavalier seul pendant quelques mois pour disparaître à fin 1855.

FONDATION DE STELLA

Helvetia Lausanne renaîtra de ses cendres le 10 décembre 1857 cinq jours après que quelque vingt-cinq élèves de l’Ecole spéciale, dont deux an-ciens Belletriens et un ancien Zofingien, réunis à Ouchy, eurent décidé de fonder une nouvelle société à laquelle ils donnèrent le nom de Stella.

Un événement historique politique avait provoqué cette fondation. En 1856, dans la nuit du 2 au 3 septembre, des éléments royalistes neuchâtelois avaient à nouveau tenté de s’emparer du pouvoir dans ce canton et de renverser le gouvernement républicain établi en 1848. L’affaire échoua et les meneurs furent incarcérés. Le roi de Prusse qui n’avait pas renoncé à ses prétentions sur la principauté de Neuchâtel rompit ses relations diplomatiques avec la Suisse. On mobilisa des troupes sous les ordres de Guillaume-Henri Dufour et c’est à cette occasion que Frédéric Amiel composa le chant intitulé « Roulez tambours! ».

Des corps de volontaires se constituèrent dans tout le pays et les étudiants ne furent pas les derniers à s’adonner aux exercices martiaux. A Lausanne, les Zofingiens avaient organisé une « Légion académique » qui accueillait tous les étudiants sans distinction d’opinion ainsi que les gymnasiens et les élèves de l’Ecole spéciale auxquels on refusait l’appellation d’étudiants.

On était alors aux débuts du développement des chemins de fer en Suisse, et la Suisse romande manquait cruellement des ingénieurs qui auraient pu maîtriser ce problème nouveau. C’est la raison pour laquelle fut créée en 1848 une Ecole spéciale destinée à former des ingénieurs en ponts et chaussées et en chemins de fer. Cette école, que ceux qui la fréquentaient appelaient « La Tech. », connut rapidement un succès certain. Les étudiants-ingénieurs étaient toutefois re-gardés avec dédain par ceux de l’Académie et ne pouvaient entrer dans les sociétés d’étudiants.

Après que se furent calmés les élans héroïques provoqués par l’affaire neuchâteloise, la légion académique fut dissoute. Toutefois les élèves de l’Ecole spéciale avaient pris l’habitude de se retrouver en dehors des cours et décidèrent de donner une suite durable à ces rencontres en fondant leur propre société.

On pensa tout d’abord baptiser la nouvelle société « Aventicum » avec l’intention d’organiser chaque printemps une réunion dans cette ville helvète, à l’instar des Zofingiens qui se réunissaient chaque année à Zofingue. On abandonna bientôt cette idée pour le nom de « Stella ».

Conséquence de l’ostracisme des sociétés académiques, Stella, en adoptant un patronyme latin affirmait son désir d’être ouverte aux étudiants de toutes les facultés et, se refusant à privilégier les disciplines techniques, elle annonçait clairement ses objectifs littéraires et culturels. Ce sont toutefois les ingénieurs qui formeront le plus clair de ses troupes pendant les premières années de son activité.

A la différence des sociétés universitaires plus anciennes, Stella admit dès ses débuts les étudiants d’origine étrangère et le livre d’or des premières années mentionne déjà des patronymes aux consonances étrangères: Hansen (1857), Davidson et Blackburn (1863), Aruda (1864) ou Sczeniowski en 1870. Ces parti-pris d’ouverture se confirmeront tout au long de l’histoire stellienne. Aux heures sombres où la Suisse n’échappait pas à l’antisémitisme, Stella resta une société à l’écart des conflits raciaux. Aujourd’hui, Stella est la première société à admettre les candidatures féminines.

Comme nous l’avons mentionné plus haut, la section vaudoise d’Helvétia fut reconstituée la même année.

En 1863, soit 6 ans après la fondation de Stella vaudoise, le 17 avril, trois élèves du gymnase de Genève décidèrent de fonder une société, occasion de réunions amicales au cours desquelles des sujets littéraires, scientifiques ou artistiques seraient abordés. Ils choisirent les couleurs bleu jaune et rouge, la devise « Ex Labore Gaudia » et baptisèrent leur association « Stella ».

Les activités de la société furent essentiellement littéraires et théâtrales et la première soirée eut lieu en mars 1864 déjà avec au programme deux scènes de « L’Avare », un air de Bach et des pièces de vaudeville.

Au mois de décembre 1867, deux élèves de première latine du gymnase de Neuchâtel décident de fonder une société d’amis, sur le modèle de Belle-Lettres et de Zofingue, qu’ils baptisèrent « La Critique Littéraire ». Les deux fondateurs souhaitèrent bientôt nouer des liens avec Stella ge-nevoise dont les buts étaient identiques aux leurs.

Après diverses tractations, une assemblée eut lieu le 4 octobre 1870 à Cossonay. Il y fut décidé la fusion des deux sociétés avec la création de « Stella Helvetica », organisme faîtier. Les deux sociétés adoptèrent une devise unique « Labor omnia vincit ».

Des sections de Stella Helvetica apparurent ensuite aux universités de Zurich en 1875 et de Berne en 1895.

Pendant cette période, Stella vaudoise continuait son bonhomme de chemin en toute indépendance. En 1872 déjà, les Genevois et les Neuchâtelois proposèrent aux Stelliens vaudois de se joindre à eux: cette offre fut déclinée. Un refus identique fut opposé en 1874, 1876,1880 et 1881. Ce refus était motivé par le désir des Vaudois de rester une so-ciété technicienne. Il faut dire que, face au désintérêt marqué par les étudiants de l’Académie, Stella vaudoise s’était refermée dans sa coquille technicienne. Heureusement, grâce aux efforts du président de Stella Genève, les Vaudois se laissèrent fléchir. En 1895, Stella Helvetica atteint sa for-me définitive: cinq sections, réparties dans cinq universités. Quatre d’entre elles adoptèrent la devise « Labor omnia vincit » tandis que les Vaudois restaient fidèles à leur premier mot d’ordre: « Amitié – Travail ».

A Berne et Zurich, Stella est formée d’étudiants romands et la langue est le français. Toute cette seconde moitié du XIXe siècle est marquée par un foisonnement de sociétés nouvelles. Certaines furent éphémères et fusionnèrent avec d’autres associations ou disparurent, d’autres perdurèrent.

Au début de ce siècle, le grand mouvement de création des sociétés d’étudiants était peu ou prou terminé. On relèvera encore qu’en 1915 une société est fondée par des étudiants en théologie et prend le nom de Valdesia. Associée au groupement de sociétés suisses connu sous le nom de « Falkensteinerbund », elle acceptera par la suite des membres issus de toutes les facultés. En 1918, les étudiants tessinois de l’Université de Lausanne fondèrent une « Brigata Goliardica ».

Nous n’évoquerons pas ici les sociétés d’étudiants étrangers, sinon pour préciser que « Minerva » (Grèce) et Germania (Allemagne) étaient les deux plus importantes sociétés représentées à Lausanne.

Tout au long de la première moitié de ce siècle, les sociétés d’étudiants prospèrent et évoluent. Pour les plus importantes d’entre elles, les travaux littéraires se cristallisent peu à peu en une théâtale. Cette Soirée annuelle présente en général un prologue, critique en chansons des grands du moment et des événements politiques de l’heure. Il est suivi d’une « pièce » de théâtre.

L’art du chant, encouragé au siècle passé par l’édition de chansonniers où sont regroupés des airs romands populaires et des chansons propres aux sociétés, évolue et ajoute à ces airs « sérieux » tout un florilège de chansons de salles de garde, recueillies dans divers chansonniers édites sous le manteau et dont les exemples les plus caractéristiques sont « L’Antiphonaire Belletrien » (1957) et le « Lutrin d’amour » de Stella.

Les remous de Mai 1968 allaient porter atteinte aux sociétés d’étudiants. « Toutes ne mouraient pas, mais toutes étaient frappées »; elles apparaissaient aux yeux des nouveaux universitaires comme le symbole d’une société bourgeoise élitaire de la fin du siècle passé. Alors que les groupements aux effectifs nombreux, comme Helvetia ou Zofingue voyaient diminuer le nombre de leurs membres, Stella vit disparaître certaines de ses sections. La transformation de l’ancienne EPUL en école polytechnique fédérale fera que les étudiants romands abandonneront le Poly pour Lausanne. Actuellement seuls les ingénieurs agronomes romands sont encore formés à Zurich. Cette mutation altéra la base de recrutement de Stella Zurich bien avant 1968. En ce qui concerne Stella Berne, si les vétérinaires romands sont encore formés outre Sarine, la plupart des Jurassiens, qui poursuivaient autrefois leurs études sur les bords de l’Aar, préfèrent aujourd’hui l’ambiance d’une université romande.

Dès les années quatre-vingt toutefois, on remarque un regain d’intérêt pour les sociétés d’étudiants. Le mouvement est tout d’abord amorcé à Zofingue et Helvetia. Stella Genève voit ses effectifs augmenter et Stella Lausanne suit le mouvement. Belles-Lettres renaît et le Turnus des étudiants portant couleurs de nos Universités est à nouveau actif.

Pourquoi devient-on membre d’un société? Dans le livre d’or de Belles-Lettres de 1956 on trouve la formule suivante:

« On entre à Zofingue parce qu’on a des amis ou des parents zofingiens, à Helvetia parce qu’on est radical, ou sur le point de l’être, à Lémania parce qu’on est catholique à Valdésia parce qu’on aime l’armée; on entre à Belles-Lettres parce que c’est Belles-Lettres. »

Comme la plupart des formules, celle-ci est approximative et tend surtout à souligner l’originalité de Belles-Lettres.

Comme l’a dit le président de Stella Valdensis dans son éditorial, on peut entrer dans une société par tradition familiale. Le contraire est aussi vrai et on verra des réactions de caractère oedipien amener un étudiant à choisir une autre société que celle de son père ou à rejeter toute idée de société étudiante. Un autre cas de figure est celui d’un groupe de gymnasiens qui a vécu avec enthousiasme les années où l’on jette sa gourme et au cours desquelles s’est créé un important esprit de classe. Si l’un d’entre eux décide d’entrer dans une société, il est fréquent qu’il y entraîne tout ou partie de ses amis de gymnase. Une troisième raison est l’influence d’un ou de plusieurs camarades qui poussent un ami à se joindre à eux. On a vu aussi des étudiants adhérer à une société comme on entre dans un club-service, afin de se créer un réseau de relations qui pourraient leur servir plus tard, quand ce n’était pas dans le but plus immédiat d’être membre d’une société à laquelle appartenait aussi tel professeur, voire le président de l’EPFL…!

Mais, quelle que soit la motivation profonde, voire l’absence de motif conscient, il nous semble qu’on entre en société sur un « coup de chance ».

Et ensuite… être admis ne signifie pas que l’on s’y plaira et d’aucuns, qui ont subi avec succès une brève période de candidature, disparaissent après quelques semaines ou quelques semestres, replongeant dans le « Philisterland » comme dit une vieille chanson estudiantine allemande.

MAIS QU’EST CE QU’UNE SOCIETE D’ETUDIANTS?

« Et qu’irai-je faire dans cette galère »? se dit à juste titre la jeune bachelière ou le fringant bachelier jeté dans l’anonymat de son premier auditoire.

Autrefois, on présentait Stella au nouvel admis en usant du cliché de « L’Auberge Espagnole », ces auberges des Pyrénées où le voyageur trouvait un toit certes, mais ne pouvait compter pour toute pitance que sur ce qu’il apportait dans ses bagages. L’image n’est pas fausse. Au contraire de nos communautés modernes où l’on attend parfois de l’Etat ou des autres qu’ils nous assurent le confort, la société universitaire est et reste un lieu d’échanges où l’on engrange en fonction de ce que l’on apporte.

Et c’est peut-être dans ce terme d’échange qu’il faut chercher l’intérêt principal que représente, aujourd’hui encore plus que par le passé, l’adhésion à une société d’étudiants.

Paradoxalement, dans le morne désert de béton de Dorigny, l’EPFL est plus éloignée des BFSH que l’EPUL de l’avenue de Cour ne l’était des facultés de la Cité. Il n’est pas présomptueux de dire que la société d’étudiants est le dernier endroit où se retrouve l’université au sens premier et universel du terme. Nous l’avons déjà souligné, les sociétés regroupent des étudiants issus de toutes les facultés et écoles. A ce titre, elles permettent au néophyte de rencontrer des camarades d’autres horizons, de confronter la vision du juriste avec celle du futur ingénieur, de mêler en des discussions, souvent passionnées, l’esprit de géométrie à l’esprit de finesse.

De nos jours, où l’information est télévisuelle ou informatisée, où la dispute moyenâgeuse a été remplacée par l’apprentissage individuel face à un écran cathodique, c’est dans nos sociétés d’étudiants que l’on peut encore assister au choc des idées d’où naîtra une vision plus large, plus universelle, en un mot une vision universitaire des études modernes.

A cette dimension de l’échange il faut ajouter celle de l’amitié. Certes, l’amitié se développe aussi en dehors des associations d’étudiants et l’histoire des « Copains » de Jules Romain retrace l’amitié d’étudiants qui ne portaient pas couleurs, même si l’auteur a dédié son ouvrage aux Bellettriens. Il n’en demeure pas moins que la subtile alchimie qui fait naître l’amitié, et préside à la création de liens qui durent souvent toute la vie, trouve un terreau particulièrement favorable au sein des sociétés d’étudiants. Quand on a partagé avec d’autres, non seulement l’angoisse qui précède les examens, mais encore le trac du moment d’entrer en scène au soir d’une théâtrale, les fastes d’une fête centrale de Stella Helvetica, de Zofingue ou d’Helvetia, les joies d’un bummel ou d’un extra-muros; quand on a partagé non seulement les heures fastidieuses passées dans ces usines à apprendre que sont devenus les campus, mais encore les loisirs nécessaires à toutes études, on voit se créer peu à peu ces souvenirs qui sont le catalyseur de l’amitié véritable, ces fils ténus qui, comme les fils des Lilliputiens entravaient Gulliver, tissent entre les êtres ces liens pérennes qui sont l’Amitié.

En un mot comme en cent, devenir Stellien (ou être admis dans une autre société) c’est prendre le risque, ou tenter la chance, de s’engager dans une activité parallèle aux études qui va, dans la plupart des cas, déborder largement les années passées à la faculté ou à l’école polytechnique et marquer toute l’existence qui en découle.

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